Le Campus Hannah Arendt

Avignon et l’Université : 700 ans d’histoire

Pour concurrencer la création de la Sorbonne, jugée trop proche du pouvoir royal français, le Pape Boniface VIII fonde l’Université d’Avignon le 2 juillet 1303. Elle se développe avec la présence des papes en Avignon, rivalisant avec les universités de Montpellier et d’Aix-en-Provence, jusqu’à accueillir 17 000 étudiants. Puis après le retour des papes à Rome, l’Université centrée sur le Droit perd de son prestige face aux Jésuites et aux séminaires.

À la Révolution Française, la ville est annexée à la France et l’université supprimée, comme toutes les universités françaises, par le décret du 15 septembre 1793.

Avignon redevient universitaire en 1963, par l’ouverture d’un Centre d’enseignement supérieur scientifique, suivi l’année suivante de celle d’un Centre d’enseignement supérieur littéraire. Les deux entités dépendent respectivement de la Faculté des Sciences et de la Faculté des Lettres d’Aix- Marseille.

En 1972, les deux unités d’enseignement et de recherche sont fusionnées en un centre universitaire, qui devient université de plein exercice (indépendante de l’Université d’Aix-Marseille) le 17 juillet 1984 sous le nom d’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse. À cette époque, trois UFR (Lettres et Sciences Humaines, Sciences Exactes et Naturelles, Sciences et Langages Appliqués) se partageaient 2 000 étudiants. Le quatrième pôle, le juridique, sera issu de la création d’une faculté de Droit en lieu et place d’une annexe de l’Université d’Aix Marseille III. Suivront par la suite un Institut Universitaire de Technologie en 1990 et un Institut Universitaire Professionnalisé en 1992.

Pour éviter une trop grande dispersion des étudiants (il y avait 10 sites d’implantation en 1991) et redynamiser le centre-ville, il est décidé de déplacer les différentes formations au sein d’un site unique, apte à accueillir des équipements collectifs (Bibliothèque et restaurant universitaires notamment). L’aménagement de l’ancien hôpital Sainte Marthe est lancé, et aboutit à la rentrée 1997.

 
Histoire et architecture de l’ancien hôpital Sainte Marthe

Fondé en 1354, par le don de dix mille florins d’or par le chevalier Bernard Rascas, maréchal de justice, et placé sous le vocable de Sainte Marthe, l’hôpital est municipalisé en 1482 par le cardinal-légat Julien de la Rovère. Une série de chantiers échelonnés entre 1667 et 1830 permettent l’élaboration d’une somptueuse façade de cent soixante quinze mètres de long. Jean Péru, qui y travaille entre 1689 et 1693 en impose le dessin : des travées étroites et serrées, à deux niveaux de fenêtres, coiffées d’une pittoresque lucarne. Sur ce modèle J.-B. Franque réalise l’aile orientale entre 1743 et 1745, puis, aidé de son fils François, il édifie le portique aux puissantes colonnes du pavillon central.

La façade

Jean Péru (1656-1723) jouissait déjà d’une belle notoriété quand il fut choisi pour une nouvelle campagne de construction. De la façade de Sainte Marthe, il ne réalisa qu’une partie de l’aile ouest (1689-1693), Jean-Baptiste Franque poursuivit le chantier (1743-1745) en reprenant intégralement le même dessin pour la partie droite et les travaux de 1830 prolongèrent l’aile du couchant commencée par Péru. L’ensemble est d’une remarquable homogénéité malgré les différentes mains qui ont participé à sa réalisation.

La façade s’étire sur 175 mètres de long. Son élévation comporte deux niveaux apparents, un rez-de-chaussée très élevé et au-dessus un étage unique, à peine moins haut, le tout souligné par des lucarnes aveugles. L’ornementation est signifiée au premier niveau avec des fenêtres surmontées alternativement de frontons curvilignes et triangulaires. Les lucarnes, soulignées par un arc de cercle fort dynamique dans ses extrémités, surmontent l’ensemble. Leur nombre est équivalent à celui des fenêtres. La longueur étonnante de la façade, le rythme curviligne s’opposant au rythme triangulaire des frontons enrichi par la note arrondie des lucarnes apportent un jeu savant de courbes, une dynamique, un mouvement qui répond au goût de l’éloquence italianisante. A ce jeu d’opposition entre rigueur et mouvement, un point d’orgue, le portique qui rhabille la partie frontale du pavillon de l’escalier de Borde.

Jean-Baptiste Franque, avec son fils François, dresse les plans et devis (1746). Le portique se détache sur un corps central en avancée, les colonnes aux deux ordres superposés font saillie un instant sur l’étonnante horizontalité. Un grand fronton triangulaire apporte la touche finale à cette immense façade,la plus grande d’Avignon à cette époque-là.

Le grand hall du bâtiment nord

Jean-André Borde et François d’Elbène reprennent le dessin de Paul de Royers de la Valfenière, mort en 1667, pour réaliser le pavillon central abritant le grand escalier. Après un vaste vestibule à arcades, l’escalier colossal sur plan carré s’articule en des rythmes parfaits. Si une impression d’équilibre et de sobriété s’impose, par l’ampleur des proportions, une tendance baroque tournée vers l’élégance signe l’ensemble.

De part et d’autre du hall se dressent dans les alcôves les statues de Bernard de Rascas, fondateur de l’hôpital Sainte Marthe (à gauche) et Bénézet. Selon les récits, Bénézet, jeune berger originaire de l’Ardèche, entendit en 1177 la voix du Christ lui ordonnant d’aller construire un pont sur le Rhône. Guidé par un ange, il arriva sur la rive droite du Rhône que lui fit traverser un batelier à qui il donna les trois dernières pièces de monnaie qu’il possédait. Bénézet annonça alors sa mission à l’évêque d’Avignon qui le prit pour un simple d’esprit et l’envoya vers le juge.

Celui-ci, pour le mettre à l’épreuve, lui désigna une énorme pierre, déclarant que s’il était capable de la porter, il le croyait capable de construire le pont. Bénézet souleva la pierre et la déposa dans le fleuve au départ du futur pont. Aussitôt, les aumônes affluèrent et sa construction fut décidée. Bien qu’il n’y eut jamais officiellement de canonisation, Bénézet fut qualifié de saint dès le début du XIIIe siècle et son culte se répandit, son iconographie le représentant le plus souvent avec la pierre sur l’épaule.

Le bâtiment sud : une réponse à l’architecture de l’ancien hôpital sainte Marthe

La métamorphose de l’hôpital Sainte Marthe en une université est réalisée par le groupement Sauget-Girard.

Les quelques 16 000 mètres carrés de réhabilitation ne suffisant pas pour accueillir 7 000 étudiants, une construction neuve de 14 000 mètres carrés est budgétée. Jean-Pierre Buffi et G. Varnitzky en furent les architectes. La volonté de ces architectes fut d’apporter une réponse contemporaine au bâtiment et à sa façade de la fin du XVIIe siècle. Le nouveau bâtiment ne sera pas conçu comme « annexe du bâtiment historique existant mais devra participer à la mise en place d’un dispositif complexe et équilibré dont les deux parties créent une confrontation architecturale de très haut niveau ».

Une même longue façade s’inscrit elle aussi, en deux temps, verticalité-horizontalité. L’animation de cette façade est soulignée par le socle du rez-de-chaussée en pierre claire rythmé d’ouvertures à la manière de Sainte Marthe, donnant de la lumière aux amphithéâtres et à la cafétéria. Dans les deux étages supérieurs, le verre est omniprésent. Il introduit un jeu de miroirs reflétant les nuances de la lumière provençale et des platanes centenaires. Cette paroi de verre laisse pénétrer à flots la lumière dans cet immense vaisseau, la bibliothèque. Comme dans l’hôtel-Dieu, le hall est le coeur du bâtiment. Il donne l’articulation des espaces et sa prédominance courbe, en opposition aux verticalités et horizontalités des autres lignes de force du bâtiment, répond à sa vocation de lieu de passage et de rencontre. Les deux envolées de l’escalier sur quatre niveaux s’entrecroisent l’une l’autre en une fine harmonie de contre-courbes. Dans ces volumes et ces lignes, ne faut-il pas voir l’évocation d’une réminiscence baroquisante ?

En réponse aux cours intérieures qui scandent l’ancien bâtiment, le nouveau est rythmé par des terrasses qui voulaient être des « salons » de lecture extérieure au nord comme au sud. Entre les deux bâtiments, les architectes ont préservé « une place-jardin » où le minéral et le végétal accueillent ceux et celles qui animent cette université. Ce site architectural riche d’un passé et porteur d’avenir est une réponse claire au jeu des complémentarités des styles et des époques.