Décrire la différenciation spatiale des phénomènes socio-économiques et environnementaux et, dans une moindre mesure, chercher dans les localisations absolues ou relatives tout ou partie de l’explication de leurs émergences, caractéristiques et dynamiques, est aujourd’hui chose commune. Ainsi, rares sont ceux qui doutent réellement que « space matters ! ».
Depuis une vingtaine d’années, ce « tournant spatial » a pu s’effectuer d’autant plus aisément, aussi bien dans la sphère académique que dans la sphère professionnelle, que les ressources géonumériques sont devenues plus abondantes et faciles d’accès et que, dans le même temps, les outils et méthodes permettant de les exploiter, en particulier les systèmes d’information géographique et plus récemment les méthodes liées à l’intelligence artificielle, se sont très largement démocratisés, aussi bien en termes de facilité d’usage que de coût. On est aujourd’hui en mesure de spatialiser et quantifier très finement nombre de phénomènes et comportements, jusqu’il y a peu difficilement saisissables faute de données : de l’évolution de l’occupation du sol à celle des prix du foncier, des mobilités physiques des individus à leurs interactions numériques, ou encore de la localisation fine des activités économiques aux pratiques touristiques, etc.
De fait, l’appréhension de la dimension spatiale des phénomènes socioéconomiques et environnementaux n’est donc plus l’apanage des seuls géographes. Elle est aussi le fait de chercheurs d’autres sciences, sociales ou pas, de spécialistes de l’analyse des données ou de leur visualisation, qui travaillent sur les mêmes thématiques, avec les mêmes outils, notamment les SIG, dont les géographes n’ont plus la rente exclusive. Aussi, il y a donc une nécessité pour chacun à mieux (re)définir son apport spécifique dans le champ de la production de la connaissance des espaces et des spatialités.
Par ailleurs, on peut se poser la question de savoir si cette nouvelle facilité de quantification-spatialisation d’une grande variété d’objets d’étude, bien que répondant à une forte demande sociale liée aux problématiques contemporaines d’aménagement, ne détourne pas d’une aspiration plus théorique. Pour certains, toute aspiration théorique devenue inutile, il suffit de « laisser parler les données ». Ainsi, dans la chaîne actuelle de production de la connaissance, force est de constater que la modélisation, qui permet de prévoir et parfois d’expliquer, se fait plus rare ou qu’elle se cantonne trop souvent à de la modélisation statistique. La prudence quant à l’explication est de mise, en se réfugiant peut-être trop facilement derrière l’inextricable complexité des systèmes territoriaux. Or, si décrire est une étape nécessaire de la démarche scientifique, elle doit nécessairement être suivie d’une volonté d’explication et de théorisation qui seules permettent l’action.
Enfin, les données et outils contemporains facilitant la production de connaissances thématiques très variées, on peut s’interroger sur ce que sont aujourd’hui les « objets de connaissance » de la géographie qui sont transversaux aux objets d’étude et qui peuvent contribuer à une production plus théorique. Une fois démontré que ce qui est proche a tendance à plus se ressembler et interagir que ce qui est lointain, que de nombreux objets géographiques, dont les villes, se tiennent peu ou prou à distance selon une logique gravitaire, ou encore que des asymétries de pouvoir augmentent les inégalités à toutes les échelles, que dit-on de nouveau, ou que cherche-t-on à savoir, qui soit transversal aux objets d’étude et qui contribuerait à la (re)définition du projet de production de la connaissance sur les espaces et les spatialités ?
Ainsi, à l’heure du big-open data, de la démocratisation des outils de cartographie et d’analyse spatiale, dont l’utilisation tous azimuts a pu contribuer à reléguer au second plan les débats épistémologiques chez les géographes, tout heureux de répondre à une demande sociale reconnaissant leurs savoir-faire, il paraît stratégique de réfléchir à ce qu’est le projet géographique aujourd’hui :
Au-delà de ces interrogations, l’enjeu de ce Géopoint est donc de prendre le temps de se (re)questionner sur ce après quoi courent les géographes aujourd’hui et de savoir si cet objectif est suffisamment spécifique pour qu’ils ne deviennent pas, à terme, une espèce en voie de disparition.
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